Enorme canon de bronze, saisi voilà près de deux siècles par l’armée française, dans la rade d’Alger,
Baba Merzoug,
connu aussi sous le nom français de «la Consulaire»,
pourrait bien par sa restitution, hier inconcevable mais aujourd’hui envisagée, œuvrer de façon bien symbolique à renforcer les relations algéro-françaises qui naviguent parfois dans des eaux froides ou agitées depuis l’indépendance de l’Algérie.
Pièce lourde, chargée d’histoire, Baba Merzoug trône depuis 1833 dans la cour d’honneur de l’Arsenal de Brest en Bretagne.
Par certains aspects, la légende de Baba Merzoug est une histoire singulièrement bretonne. En effet, le célèbre canon fut déplacé en 1833 dans la capitale du Finistère par un amiral breton de la marine française.
Un autre Breton, homme d’affaires de son état, milite activement depuis 2003 pour sa restitution à l’Algérie. Encouragé par le précédent du sceau du dey Hussein, remis en 2003 par le président Jacques Chirac à son homologue algérien Abdelaziz Bouteflika,
Domingo Friand, passionné d’histoire et altruiste en diable, a initié une campagne assidue en faveur du retour du canon algérien à Alger. Il souhaite que le monument érigé, l’affût à la verticale, soit transféré aux autorités algériennes.
Il promet alors une cérémonie œcuménique dans la capitale algérienne avec un imam et un évêque, «en mémoire des victimes de la colonisation et en lieu et place du traité d’amitié algéro-français qui n’a jamais été signé».
L’humaniste breton dispose en Algérie de relais militants sous la forme d’animateurs d’un site Internet dédié à la sauvegarde de la vieille citadelle algéroise, qui fut la capitale de la Régence turque.
«Sauvons la Casbah d’Alger»
milite, en effet, pour le rapatriement de Baba Merzoug et son installation sur une grand-place d’Alger.
Ces férus d’histoire et amoureux de la Casbah, au même titre que Domingo Friand, vont dans le sens de l’histoire.
Après tout, Napoléon Bonaparte avait indûment pris la fameuse statue d’Apollon qui se trouvait sur la place de Brandebourg à Berlin. Elle a quand même fini par être restituée à l’Allemagne. Juste retour des choses.
En 1542, pour célébrer la fin des travaux de fortifications, Baba Hassan fait fabriquer un gigantesque canon par un fondeur vénitien. Long de 6,25 mètres, d’une portée de 4 872 mètres.
Mezzo Morto inscrit Baba Merzoug dans la postérité
Un siècle et demi plus tard, en 1662, les Algériens sont devenus les maîtres intraitables de la Méditerranée après avoir dicté aux Hollandais et aux Anglais des pactes de non-agression. Cette année-là, ils capturent une frégate de la marine française et vendent son commandant comme esclave sur l’actuelle place des Martyrs. Louis XIV, le Roi-Soleil, soucieux de rester en lumière, réagit en envoyant l’amiral Abraham Duquesne, à la tête d’une expédition punitive d’une centaine de navires, bombarder Alger. Cette fois-ci, les soldats de la chrétienté disposent de bombes et de boulets incendiaires. Leur puissance de feu finit par contraindre le dey à demander un armistice et l’ouverture de négociations.
L’intermédiaire français est alors le révérend père Le Vacher, vicaire apostolique désigné par le roi comme son consul dans la capitale de la Régence depuis 1671.
Duquesne exige et obtient la libération de la plupart des captifs chrétiens. Mais c’était sans compter sur un certain Mezzo Morto, alias Hadj Hussein, riche renégat génois qui fomente alors un complot politique, assassine Baba Hassan et ligue la population algéroise contre l’envahisseur français. L’amiral Duquesne reprend alors les bombardements.
Mezzo Morto, devenu dey, inaugure une méthode de représailles vraiment expéditive et restée célèbre : le consul Le Vacher, revenu à terre entre-temps, est accusé de traîtrise, puis ligoté et mené au port d’Alger. Là, les artilleurs braquent Baba Merzoug vers le vaisseau amiral de la flotte française.
Ils placent ensuite le consul devant la bouche avant de faire feu. Depuis ce jour, la marine française appelle Baba Merzoug «la Consulaire» en mémoire du diplomate pulvérisé. Après lui, d’autres captifs malchanceux subirent la puissance implacable de Baba Merzoug, et la réputation du canon s’en trouva d’autant grandie.
Le 5 juillet 1830, après la conquête d’Alger par l’armée coloniale française, la plupart des canons sont fondus et transformés en francs nouveaux. Mais, l’amiral en chef de l’armada française, Victor-Guy Duperré, lui, n’a pas oublié Baba Merzoug. Breton de Brest, il fait transférer le célèbre canon en Bretagne où il est érigé en colonne votive dans l’arsenal de la ville, le 27 juillet 1833, au magasin général, quai Tourville.
Aujourd’hui, les promeneurs qui empruntent le pont de la Recouvrance, à Brest, peuvent distinguer en surplomb le canon planté au milieu d’un parking de la zone militaire.
Les curieux, autorisés à s’en approcher, découvrent un monument un peu piteux, l’affût recouvert d’un magma de plâtre jauni. Puis une grille rouillée autour d’un socle carré en marbre. Sur les côtés, des gravures en bronze commémorent l’histoire coloniale.